Je regardais le bar, il y avait quelque chose de bizarre, comme si quelqu'un était venu et avait refait la décoration. Etrange ! Amusant ! J'entrais pour y voir plus clair, mais je glissais alors sur une cacahuète posée juste là, sous mon pied. Une si petite mais maline cacahuète, enfin c'était peut-être une pistache ou une noix de cajou, il n'en reste plus grand chose. Je pouvais goûter mais c'était un peu pas propre. Surtout qu'il fallait d'abord que je finisse ma glissade, car on glisse dans une glissade.
Pris au dépourvu, je glissais comme dans un gag, lisant le journal tellement la glissade glissée. A la fin, je m'aplatissais contre un mur, appréciant du coin de l'oeil et de ma pommette le nouveau papier peint. Excellent choix me disais-je, un peu abasourdi comme si j'allai tomber au sol. J'avais de la chance, on me retint alors, mais penchant la tête, je la voyais, sa tête blonde. Elle me laissa alors tomber au sol, en me parlant, elle me montrait des choses. Elle portait un costume de Sherlock Holmes et une fausse moustache, et elle déambulait partout.
Je lui demandais alors si tout allait bien ? Mais elle était trop occupée dans son délire. Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander si c'était encore moi-même qui me parlait, ou si je ne comprenais rien. J'étudiais les lieux, je notais leurs détails, leurs messages. Je regardais la cacahuète disposée un peu partout, au gré de ma glissade. Mais le vacarme de cette personne dérangée me perturbait, comme si elle représentait une partie de moi avec laquelle je ne pouvais pas aller plus loin. Comment comprendre ces mots ? Pourquoi était-ce inconcevable ? Je ne pouvais pas établir de liens concrets, et elle semblait ne faire que ça, sans se soucier du poids des choses. J'arrêtais alors de réfléchir, et je la suivis, comme si je comprenais tout ce qu'elle me disait.
- Non mais tu vois ici, la lampe est tournée vers la droite. Or comme on est dans un bar, et que les lampadaires dehors sont blancs, ça ne peut signifique que deux choses et demi. Mais tu vois, si je prends la table là, ici, et là, comme là, je ne la prends pas par ici. Tu notes ?
- Oui oui
- Maintenant, regardes. Là, ici, ce tableau est rond, pas carré. Il a des bords taillés. Mais que représente-t-il ?
- Un paysage ?
- Non. C'est un Luderzini.
- Et alors ?
- Tu n'as rien écouté ? Qu'est ce que je t'ai dit ?
- ...
- Avant ça
- Avant quoi ?
- Les deux chaises jumelles du New Neustick.
- ...
- A quoi ça sert si tu ne me dis pas que tu n'écoutes pas ?
- ...
- Tu le fais exprès, tu aimes être mystérieux !
- Bof, j'attendais juste que tu finisses.
- Tu es blond ou quoi ?
- ...
- Je te laisse résoudre tes problèmes.
- D'accord, merci.
- Offres-moi à boire !
- Tu peux pas te servir ?
- T'es trop perso, tra !
- ...
Je restais là, seul avec mes perspectives, incapable de tirer tout ça au clair. Le jukebox jouait quelques mélodies qui me faisaient oublier tout ça. Mais je ne voulais pas oublier, je voulais comprendre. On ne peut pas vraiment oublier ce qu'on ne comprend pas. Mais parfois, certaines choses ne méritent pas d'être comprises. Mais c'était trop numineux pour être ignoré. Certaines choses méritent d'être intégrées, même si on peut rester ignorant de leur intégrités à jamais. Je repensais alors à ce m'avait dit cette femme avant de disparaitre. Aime-je être mystérieux ? Est-ce que le mystère est une chose introvertie, ou une chose extravertie ? Le mystère peut nous attirer, mais ce qu'il recèle peut être mauvais. Comment se protéger d'une telle chose ? Faut-il craindre le mystère, ou l'embrasser ? Peut-on ignorer le mystère ? Pourquoi créer du mystère ? Je suis mystérieux ? Nous sommes tous mystérieusement nous-mêmes. Mon mystère, c'est mon Mister. Le mystère a le droit d'exister ou d'être défendu j'imagine.
Alors que je divaguais, je me demandais quel mystère était ici, quel mystère avait pu pousser mon intuition à me quitter, promptement. Pourquoi est-ce que je ne peux pas comprendre ? Pourquoi tout est non dit mais visible ? Si le mystère me protège, alors le mystère protège probablement aussi ces choses. Mais de quoi ? Et pourquoi ? Est-ce que je me protège pour profiter ? Est-ce que mon mystère veut signifier quelque chose ? Mon mystère est là de sa propre volonté, de son propre chef, comme les nuages se forment. Mais ils ne sont pas vivants, tout comme mon mystère. Mon mystère est comme la Terre. Mais quels sont ces mystères autour de moi ? Pourquoi ces mystères me regardent ? Pourquoi est ce que je regarde ces mystères ? Je sentais le poids du bar sur moi, le poids du monde comme une question universelle. J'avais froid, et je remarquais le son d'une porte claquer au 1er étage. Il faisait si froid, tellement que je me sentais obligé de monter fermer cette porte. Ce mystère était simple à résoudre, même si je ne savais pas ce qu'il pouvait vraiment y avoir. En haut, il y avait la blonde, mon intuition, cette idiote et lâche alcoolique. Elle m'attendait comme si j'étais en retard, baissant ses lunettes pour me croiser du regard. Elle me demandait si j'avais apprécier le moment, haussant les épaules comme je sais si bien le faire. J'avançais vers ce que ma pensée seule pouvait me guider tel un figurant dans un scénario inconnu. De la neige semblait sortir d'une porte, il y avait donc des chambres dans ce bar ? Je me dirigeai vers la porte, n'écoutant pas ce qu'elle me racontait, comme pour la punir de m'avoir laissé comme ça. Mais je savais déjà ce qu'elle me disait, alors j'ouvris la porte où le vent soufflait de plus belle. Il n'y a pas moyen de la fermer, elle semblait comme sabotée. Il y avait comme une musique halloweenesque qui sortait du fond de la salle, où une fenêtre brisée donnée vers une contrée blizzardeuse. Je notais alors un genre de paillasson où des mots grecs étaient écrits. "Bienvenue", "fantôme", "mystère" ? Ne connaissant pas le grec, j'entrais frigorifié, notant les détails des lieux, mais essayant de percevoir l'extérieur. La blonde me retint alors dans mon élan, comme si j'oubliais quelque chose.
- Quoi ?
- Prends ça !
- Qu'est ce que c'est ?
- Un hydroscope.
- Ah ok merci, je me disais bien que j'oubliais le plus important.
- Je savais que tu allais dire ça.
- Vraiment ?
- Oui, et aussi ce que tu vas dire ensuite.
- Tu me le diras en chemin.
- Tiens, c'est bizarre ...
- Pourquoi tu ne me dis pas pourquoi tu me ralentis ?
- C'est pas amusant sinon.
- Non, mais tu es moi non ?
- J'crois pas non.
- ...
- Tu écoutes quand je te parle ?
- Je pourrais te poser la même question.
- Pourquoi tu fais n'importe quoi ? Tu sais même pas ce qu'est un hydroscope !
- Parce que ça existe ?
- ...
- Ah tu ne savais pas que j'allais dire ça ?
- Tu es fatiguant, j'ai pas envie de t'aider.
- Misère ...
Je passais la fenêtre en réfléchissant à ce qu'elle venait de me dire, mais cela m'énervait. Elle ne pouvait pas être plus claire ? Je ne peux pas cogiter sur des mystères, je suis juste ce que l'intuition, ou la réalité, me propose vraiment. Je n'ai pas peur de faire erreur, je n'ai pas peur de subir. Je ne suis pas pour autant téméraire, je suis juste réaliste. Parfois, les choses sont des sophismes. Attirer est une chose naturelle, ce n'est pas artificiel. Même sans mon intuition, j'ai toujours de l'intuition. Ainsi je dissocie le naturel de l'artifice. Mais parfois non. Etait-ce une de ces fois là ? Qu'est ce que le scénario avait à offrir ? Je voyais alors la blonde me tendre un sachet de thé, en plein blizzard, tout en me dépassant pour me montrer la voie. Il ne manque qu'un thé à la misère pour paraitre un mystère, j'enfilais alors le sachet autour de mon poignet et j'avançais dans ce désert hostile mené par celle qui pouvait aussi bien être ma seule chance que toute ma malchance. Elle était mon sachet de thé.
mot : thé